Extrait
Ève aux sables dormant

Le lever du soleil sur les dunes, voilà un spectacle que Guillaume n’aurait manqué pour rien au monde, quitte à être debout bien avant les autres. Comme chaque matin, les premières lueurs de l’aube l’avaient tiré du sommeil. Il se réveillait toujours de bonne humeur dans le désert. Après s’être habillé et avoir attrapé au passage un peu de pain et quelques dattes, il avait couru jusqu’en haut de la Cime, s’était assis sur le sable encore froid, et de cet observatoire unique, dans le silence de l’aurore, il avait salué avec émotion l’ascension de l’astre du jour.
En Égypte, le soleil était un dieu, et en tant qu’apprenti égyptologue, étudiant en histoire de l’art et futur archéologue, Guillaume avait appris l’importance des symboles et des rites. Pour lui, rendre hommage au soleil levant tenait de l’évidence, du devoir sacré. Il aimait les mystères et la magie de l’Égypte ancienne. Depuis qu’il avait décroché ce stage de six mois près de la Vallée des Rois, il n’était pas descendu de son nuage.
Peu à peu, alors que la lumière repoussait les ténèbres et envahissait le moindre recoin du campement, les hommes s’éveillaient, quittaient leurs tentes, parlaient entre eux, et la vie reprenait ses droits. Guillaume se remit sur ses pieds en expirant profondément. Était-ce un soupir de regret, parce que le moment de grâce qu’il venait de vivre s’achevait, ou d’impatience à l’idée de se remettre au travail ? De repartir, comme chaque matin, à la rencontre d’un passé de plus en plus lointain ? Lui-même ne le savait pas vraiment, il y avait sans doute un peu des deux. Chassant de la main les derniers grains de sable encore accrochés à son jean, il redescendit le sentier et rejoignit l’équipe de fouilles qui se préparait.

Ils creusaient depuis des mois le flanc ouest de la Cime, qui surplombe la Vallée des Rois. Montagne sacrée pour les anciens Égyptiens, c’est à ses pieds que ces derniers avaient durant des millénaires enterré leurs morts. La Vallée des Rois s’étendait au nord, celle des Reines au sud et les villages menant au Nil et à Louxor s’étiraient vers l’est. Mais la face ouest, tournée côté désert, était quant à elle toujours restée inexplorée. Il y avait bien eu quelques expéditions de reconnaissance, au fil des siècles, cependant rien n’avait jamais laissé supposer que ce versant ait un jour été habité, ou exploité d’une manière ou d’une autre. Jusqu’à ce que, deux ans plus tôt, un archéologue français, le professeur Pierre Monnier, tombe accidentellement sur l’entrée d’une galerie souterraine. Celle-ci s’ouvrait au mitan du tertre. Modeste faille entre deux masses rocheuses, elle descendait en pente régulière avant d’aboutir dans une impressionnante caverne, à plusieurs dizaines de mètres sous le désert. C’est dans cette cavité au cœur de la montagne que Monnier avait repéré les premiers ossements et vestiges préhistoriques, reposant à même le sol. Grâce aux quelques éléments qu’il avait remontés, le scientifique trouva très vite des mécènes et put mettre en place une expédition officielle en un temps record. Le camp de fouilles, installé à flanc de montagne, entre le sommet de la Cime et l’ouverture de la galerie, rassemblait à ce jour une cinquantaine de chercheurs, ouvriers et étudiants qui, à la stupéfaction générale, avaient déjà arraché à la roche quantité de merveilles incroyables. À deux pas des restes de pharaons égyptiens vieux de plus de trois mille ans, l’équipe de Pierre Monnier avait exhumé successivement, couche après couche, des fossiles de diverses espèces de dinosaures, allant jusqu’à deux cent cinquante millions d’années avant notre ère. Toute la communauté scientifique était en alerte. Non seulement cette région, qu’on pensait surfouillée, recelait manifestement toujours des richesses cachées, mais surtout, on découvrait sur un même site un véritable catalogue chronologique de traces du passé. Il y en avait de toutes les époques de la Terre. Une telle chose n’avait, à ce jour, jamais été observée nulle part. Le phénomène était unique et incroyable. Et on creusait encore !
La veille, lors d’une conférence réunissant les principaux experts de la planète, le professeur Monnier, instigateur et directeur du projet, avait évoqué pour la première fois le concept de « cimetière permanent ». Selon lui, pour une raison inconnue, depuis la nuit des temps, les créatures qui avaient récursivement peuplé cette région du monde étaient venues mourir à cet endroit précis. C’est ce qui expliquerait que chaque couche sédimenteuse apportait son lot d’ossements et de fossiles, en respectant un ordre chronologique d’une précision sans faille. Les hypothèses allaient bon train sur l’explication d’un tel phénomène, mais il restait pour l’heure une totale énigme. Guillaume n’en avait pas dormi de la nuit !